Par @hanyrhauz
Regardez. Une belle salle à l’élégant décor. Un public qui a bravé grève et tempête. Et sous le doux regard de Marcel Proust, Anthony, notre célèbre Serial Lecteur Nyctalope, Laurine Roux, autrice qui nous avait déjà fait le plaisir d’un vleel pour le Sanctuaire et son éditrice, Valérie Millet, des éditions du Sonneur. Tout est réuni pour que la soirée soit merveilleuse. Elle l’a été. Sans commune mesure.
Le Swann était l’écrin parfait pour ce vleel hybride. Et voyageur. Cette fois-ci, direction la Catalogne pour L’autre moitié du monde. Un roman naît de plusieurs sources “comme le fleuve naît de plusieurs affluents”. Le delta de l’Ebre et ses grands aplats de vert. Le fantôme de son arrière-grand-père, franc-maçon libertaire, un héros qui n’a pas été chanté et… Gérard Depardieu.
Pour porter ce roman, un trio. L’autrice et ses deux éditeurs, Valérie Millet et Marc Villemain. Ce dernier réalise le travail initial avec Laurine Roux, Valérie Millet arrive dans un deuxième temps pour les ajustements. Et les ultimes lectures. C’est un livre qui a eu besoin de maturation, il y a eu beaucoup de coupes, un travail important sur le choix des mots, sur la ponctuation, la respiration du texte. C’est un roman plus sec que les précédents, où la rupture de rythme est essentielle. Il y a des choses plus saccadées, des brisures, comme celles des corps. Des parataxes (poke les profs de lettres !) qui se mêlent à des périodes, quelque chose de plus épique.
Il y a une forme de théâtralité, du discours direct. Le roman est pensé en cinq parties (l’introduction, les trois parties du texte et la conclusion) comme les cinq actes d’une tragédie grecque. Il y a une évolution marquée depuis son premier roman. Elle cherche bien plus à faire respirer le texte, à supprimer l’adjectif ou l’adverbe de trop, pour trouver une phrase sèche, finalement plus ample.
Laurine Roux voit ses personnages comme des chimères, elle les reçoit comme une grâce et porte une grande responsabilité envers eux. Encore une fois, il y a des personnages masculins très marqués : Igor, une figure masculine qui va loin, qui n’est pas édulcorée, Juan qui porte le prénom de son père Jean-Fabien, beau et lumineux mais aussi Horacio, d’une grande douceur et d’une grande tendresse.
Cette fois, son histoire est ancrée dans un contexte historique fort, celui de 36, pour lequel elle a une sorte de “libido politique”, tout comme elle a pu en avoir une pour 68, adolescente. Elle vient d’une famille politisée, où l’on parlait grands idéaux. Ce qu’elle a retrouvé dans le discours des instituteurs en Espagne à cette époque. Elle ne voulait pas s’imprégner des choses comme une historienne mais plutôt s’affranchir de ce qu’elle avait lu, se donner la liberté de ne pas tout dire du contexte historique (c’est une jacquerie qui aurait pu se passer ailleurs, à un autre moment) et de garder le conte en filigrane.
Pour terminer, quatre figures.
Depardieu, on y revient, qui a inspiré les nombreuses scènes de cuisine du livre, comme un parallèle avec la grand-mère de Laurine Roux.
Bolaňo, dont la rencontre avec un de ses amis, a été décisive dans sa vie d’autrice, comme une dédicace à notre Serial Lecteur Nyctalope.
Et Marie-Hélène Lafon, reçue en vleel et qui à cette occasion avait prononcé cette phrase : “lire et écrire, deux phases comme inspirer et expirer”, une citation comme un mot de conclusion.
Avant de laisser place à Bach (qui est dans les remerciements), qui l’a accompagnée pendant l’écriture et qui l’accompagne, ce soir-là, pour une lecture suspendue.
2022 est l’année Laurine Roux aux éditions du Sonneur, puisqu’un autre texte va paraître, plutôt jeunesse, à la lisière des genres et accompagné de soixante gravures d’Hélène Bautista. Une suite qui s’annonce aussi enthousiasmante que celle de cette rencontre au Swann.
A voir: le replay de la rencontre sur YouTube

