Le 26 janvier, VLEEL a reçu Thomas Gunzig pour une rencontre littéraire en ligne pour son très beau livre Le Sang des Bêtes, en compagnie de son éditrice Marion Mazauric, au Diable Vauvert.
C’est le plaisir de la lecture – découvert dans une école pour handicapés où il avait été placé par erreur – qui a alimenté le désir d’écrire de Thomas Gunzig. Pourtant, il ne pourrait pas dire que l’écriture est un plaisir : un peu comme la boxe, c’est un travail exigeant, effrayant, une raison d’exister.
Son objectif d’auteur est d’écrire des romans originaux, tout sauf ennuyeux, qui surprennent, expérimentent, font rire, et provoquent de l’émotion qui fait sens. Il a imaginé « Le Sang des Bêtes » durant le confinement, c’est pour cela que l’ouvrage se déroule beaucoup en intérieur, et dans un cadre familial. La famille est en effet pour lui un lieu passionnant, beau mais terrifiant, qui peut détruire comme il peut construire : un vrai paradoxe, source magnifique d’histoires. D’ailleurs, le livre est dédié à ses propres parents, à leurs erreurs qui l’ont enrichi, et qu’il a pardonnées car les erreurs parentales sont inévitables.
Le Sang des Bêtes est aussi le roman le plus personnel de l’auteur, en lien direct avec sa propre histoire : sa famille paternelle est juive, ses grands-parents ont été assassinés pendant la Shoah, son père a été un enfant caché. Thomas Gunzig et ses enfants n’ont pas connu la guerre, pour autant ils portent quand même ce traumatisme, qui leur a été transmis.
L’auteur a également voulu dans ce livre évoquer les injonctions de la société par rapport au corps, et à l’image qu’il renvoie. Par exemple, durant le Nazisme, le corps juif était devenu politique, il était représenté comme petit, difforme, nauséabond. Thomas Gunzig, qui vient d’une famille qu’il qualifie « d’intellos », a voulu, par provocation et par désir de se confronter à ses peurs, faire beaucoup de sport – ses héros d’adolescence étaient Schwarzenegger et Stallone, et il voulait leur ressembler. Il a souhaité parler dans ce roman, dont les chapitres portent chacun le nom d’un muscle, de la violence que l’on fait subir à son corps pour ressembler aux idéaux. Cependant, Thomas Gunzig insiste bien sur le fait qu’il se met au service de ses personnages durant l’écriture, que les idées lui viennent au fil de l’eau, et que c’est une fois le livre fini, qu’il l’analyse et comprend ce qu’il a voulu transmettre.
Son éditrice, Marion Mazauric, souligne que Thomas Gunzig est un écrivain et un chroniqueur radio très connu en Belgique (même s’il est traduit dans un grand nombre de langues…mais toujours pas en Néerlandais !) et qu’elle est très heureuse qu’il lui fasse toujours confiance pour publier ses romans en France, car elle a pour principe de suivre ses écrivains coup de cœur tout au long de leur carrière.
Elle met en avant la capacité de Thomas Gunzig à traiter des sujets de société sans être didactique : on ne sent ni le travail, ni d’insistance sur l’intention de l’auteur. Il évoque des sujets graves, noirs, mais le lecteur rit, prend du plaisir à être remué, éprouve des moments de grâce, dans un cocktail détonnant entre réel et fantastique.
En effet, dans la lignée des fabulistes, qui incorporaient un élément de décalage dans les histoires qu’ils racontaient, Thomas Gunzig utilise le fantastique dans ce roman, ce qui lui permet également de questionner la place de l’humain par rapport au vivant. Ce côté fantastique/imaginaire peut faire peur, rebuter, pourtant tout livre est la rencontre entre deux imaginaires singuliers, celui de l’auteur et celui du lecteur, et c’est paradoxalement une facette qui permet de dire le plus de choses sur la réalité.
Dans « Le Sang des Bêtes », il a introduit un personnage très particulier, Enseta. Celle-ci met en lumière la grande peur du changement que les gens éprouvent. Le niveau du bonheur général baisse car on éprouve beaucoup d’inquiétude, mais souvent sans rien faire pour y remédier. D’ailleurs, dans le roman, les personnages évoluent, tout en restant dans leur vie d’avant – le même travail, le même couple…Enseta a transformé le regard de chacun et a permis de mettre en lumière les injonctions qui les étouffaient, ce qui leur permet de s’en débarrasser. Ces personnages, qui étaient jusque-là en échec, ont fini par s’intéresser plus à ce qu’ils donnaient qu’à ce qu’ils recevaient : eux qui étaient plutôt antipathiques au début du roman finissent par être attachants alors qu’ils n’ont pas fondamentalement changé, c’est simplement le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et sur les autres qui a évolué.
A voir: le replay de la rencontre sur YouTube

