Ayant lu et beaucoup aimé « Beyrouth entre Parenthèses », j’étais très heureuse que VLEEL reçoive son auteur, Sabyl Ghoussoub, ainsi que ses éditeurs de l’Antilope, Gilles Rozier et Anne-Sophie Dreyfus.
C’est le deuxième roman que Sabyl publie chez l’Antilope après « Le Nez Juif ». Qu’un auteur franco- libanais envoie son manuscrit à une maison spécialisée dans la culture juive peut sembler étonnant, mais Sabyl avait beaucoup aimé « Comme deux sœurs », le premier titre de l’Antilope, et comme il le dit, « après tout, on est tous français » !
Ce livre, d’inspiration autobiographique, raconte l’arrivée en Israël d’un jeune homme franco- libanais : à l’aéroport Ben Gourion, il est soumis à un interrogatoire surréaliste qui dure des heures. Il faut savoir que le Liban et Israël, pays frontaliers, sont en guerre depuis la création d’Israël en 1948, et qu’il est interdit pour un citoyen ou résident libanais de se rendre en Israël, sous peine de poursuites.
Sabyl Ghoussoub a commencé sa carrière artistique en tant que photographe mais c’est finalement l’écriture qui lui permet de s’exprimer complètement. Il est né et a grandi à Paris, et a plusieurs amis juifs qui sont partis en Israël pour des vacances voire même pour y vivre. Ce voyage, en tant que Libanais, lui a longtemps semblé inenvisageable, mais il a compris un jour qu’il devait percer le tabou, et se rendre en Israël, en tant qu’artiste, en tant que Français, en tant que Libanais, et qu’il raconterait son voyage, avec le point de vue d’un Libanais en Israël, ce qui, à sa connaissance, est inédit.
Pourtant, cela ne s’est pas fait sans heurt : il n’a pas dit à sa famille qu’il se rendait en Israël et ne leur en a parlé que plus tard (d’ailleurs sa mère ne le croit toujours pas vraiment !), en effet, sa famille est politisée: la question juive, israélienne, n’est pas un sujet que l’on aborde, ou alors sous l’angle pro- palestinien, sous peine d’être rejeté ou de se sentir coupable de créer des dissensions familiales.
C’est d’ailleurs cet étouffement familial et politique qu’il exprime dans sa série de photos reproduite dans le livre, où l’on voit des membres d’une famille au visage recouvert d’un keffieh) Le voyage en Israël pouvait également provoquer des représailles au Liban, même si aujourd’hui, suite à la révolution du 17 octobre 2019, la parole s’est libérée, et Sabyl Ghoussoub peut parler de sa démarche plus sereinement qu’avant.
Il y a eu plusieurs versions antérieures à « Beyrouth entre Parenthèses », mais Anne-Sophie Dreyfus, l’éditrice, trouvait que Sabyl Ghoussoub n’y exprimait pas son « identité d’écriture », marquée par l’humour et le second degré : finalement c’est le récit de l’interrogatoire qui a permis de retrouver cette identité, en réinventant un épisode tendu sur le moment, mais plutôt drôle et surréaliste avec le recul. Cette partie du roman a permis à l’auteur, influencé par le théâtre libanais de la période de la guerre civile, ou par le cinéma de Nanni Morretti, Woody Allen, ou Elia Suleiman, d’évoquer avec humour, de façon légère, des questions intimes et sérieuses : qu’est-ce qu’être Libanais, qu’est-ce qu’être artiste, que représente la famille. Ce côté absurde, surréaliste, se retrouve d’ailleurs tout au long du livre, que ce soit dans le récit d’une guerre des mots, ou dans cette mise en abyme artistique qui décrit une œuvre israélienne basée sur le témoignage d’un soldat israélien d’origine libanaise qui retourne dans son pays de naissance pendant la guerre.
Et si Sabyl Ghoussoub n’aborde pas le Liban frontalement dans « Beyrouth entre Parenthèses », ce livre représente finalement une déclaration d’amour à son pays d’origine, qu’il aperçoit au loin lorsqu’il est en Israël. C’est l’histoire d’un franco-libanais qui va de Paris à Tel Aviv en essayant de mettre Beyrouth entre parenthèses et qui, à la fin du livre, enlève ces parenthèses.
Alors, est-ce qu’un écrivain libanais peut écrire sur autre chose que le Liban ? Sabyl Ghoussoub aimerait en tout cas écrire un ouvrage sur Cesaria Evora et le Cap-Vert, pays d’origine de sa nounou, sa deuxième mère… un livre pour lequel l’Antilope sera de nouveau au rendez-vous, et que nous avons hâte de découvrir !
A VOIR : le replay de la rencontre sur la chaîne YouTube VLEEL.
A LIRE : deux chroniques, ici et ici.