Rencontre avec Fatima Daas

par | 02 décembre 2020 | 0 commentaires

Par @eva_tuvastabimerlesyeux 

A seulement 25 ans, Fatima Daas a déjà écrit un roman encensé par la critique et le public, et qui vient de recevoir le Prix des Inrocks 2020. VLEEL l’a reçue en compagnie de son éditrice chez Notabilia Brigitte Bouchard pour parler de « La Petite Dernière ».

Les deux femmes se sont rencontrées lors d’une soutenance de master de création littéraire : Fatima Daas présentait son texte, et Brigitte Bouchard, qui était dans le jury, a aimé ce qui s’en dégageait de fort et de nouveau, et aussi cette résistance à la facilité, cette volonté de ne pas choisir. Elle a donc proposé à Fatima Daas de l’éditer chez Notabilia, car elle trouvait que le texte était en phase avec la ligne éditoriale de la collection : repousser les limites, donner des pistes de compréhension, susciter de la réflexion, bousculer. Après un temps de réflexion, Fatima Daas a accepté d’être publiée par Brigitte Bouchard, appréciant leur relation de confiance, tandis que l’éditrice veillait à ne pas voir un ascendant trop fort sur ce premier roman, pour ne pas le dénaturer.

Fatima Daas écrit sous pseudonyme pour séparer ce qu’elle est de ce qu’elle écrit, tout en jouant avec le fait que sa narratrice porte le même nom : elle cherche à se protéger mais a aussi envie d’incarner son personnage, de se réinventer. Mais elle n’a pas pour autant envie de parler d’autofiction, de récit autobiographique, de roman : elle considère « La petite dernière » comme un texte à lire, qui parle de résistance, de liberté, et d’amour.
Elle a commencé à écrire adolescente, car elle n’était pas à l’aise à l’oral, elle souhaitait avec l’écriture mettre en mots ce qu’elle n’arrivait pas à dire. L’écriture n’est pas un exutoire pour elle, au contraire elle veut travailler sur ce qui crée des tensions, des vibrations, creuser là où ça fait mal, « dévoiler ce qu’on ne dit pas ». Pour « La petite dernière », elle souhaitait vraiment travailler sur les contradictions, et pas seulement celle entre l’homosexualité et l’Islam.

Pendant longtemps, elle s’est demandée si ses écrits auraient leur place en littérature, car elle n’avait jamais lu, écrit par une personne directement concernée, de texte sur la prière, sur une femme de banlieue musulmane et lesbienne : lectrice de Duras, d’Annie Ernaux, c’est peut-être Abdellah Taïa l’auteur dont les thèmes font le plus écho en elle. Virginie Despentes, qui a été sa « marraine » d’écriture est aussi une autrice importante pour elle, surtout pour l’engagement féministe. En effet, Fatima Daas est une féministe intersectionnelle, ayant subi des discriminations multiples, et cherchant à éclater les identités, discuter les cases, les normes, refusant de choisir. Elle a d’ailleurs trouvé beaucoup de force et d’espoir dans un collectif de femmes lesbiennes arabes et musulmanes, même si l’effet miroir, cette sensation d’enfin sortir de la solitude, a d’abord provoqué un choc.
« La petite dernière » est née d’un manque de représentation – Fatima Daas trouvait terrible que les thèmes évoqués n’aient pas encore été partagés car ils touchent beaucoup de monde. La formule « Je m’appelle Fatima Daas » s’est imposée dès le début, pour déployer les différentes identités, mais aussi pour créer de la musicalité. Fatima Daas s’est beaucoup tue, aujourd’hui « la parole je la prends, je n’attends pas qu’on me la donne » dit-elle, ce texte est un cri, elle n’a « pas le temps de faire beau », elle veut transmettre du brut, aller à l’essentiel. Elle écrit sur les gens qui vont mal, qui sont en colère, qui se sentent en-dehors, et veut décrire comment on se construit quand on se déteste, quand on se tait, quand on ment, quand on évolue dans un milieu hostile qui entraine un dégoût de soi, une homophobie intériorisée.

 Fatima Daas a été un peu déçue par le fait que beaucoup d’articles de presse se soient focalisés uniquement sur l’Islam et l’homosexualité, comme si elle portait une parole, comme si « La petite dernière » était un manifeste, ne parlant par exemple pas d’amour, alors que le livre évoque l’amour maternel, une histoire d’amour, l’amour de la France, l’amour de l’Algérie. En revanche, elle est heureuse que son entourage proche ait bien accueilli le livre et notamment sa mère, qui a bien compris que ce texte « mélangeait du vrai et du faux », et qui est très fière de son succès. Et si devenir un personnage public, être reconnue au sens premier du terme, est déstabilisant, elle est ravie d’être lue, de rencontrer ses lecteurs, et d’être prochainement traduite dans plusieurs langues, et sur scène dès le Printemps 2021 pour une adaptation de son livre.
L’écriture, contrairement à la vie, n’a pas de limites, et Fatima Daas, comme le dit Brigitte Bouchard, parle une langue frontalière.

A VOIR : le replay de la rencontre sur la chaîne YouTube VLEEL.

A LIRE : deux chroniques, ici et ici.