Encore une fois, VLEEL est en plein dans l’actualité littéraire puisque Marie-Hélène Lafon vient de recevoir le Prix Renaudot 2020 pour son roman « Histoire du Fils » aux Editions Buchet-Chastel.
Celle qui a commencé à publie à 39 ans, n’en est pas à son coup d’essai, puisque qu’elle a déjà reçu de nombreux prix : son premier roman, « Le Soir du Chien » avait déjà reçu le Prix Renaudot… des Lycéens : les premiers lecteurs qu’elle a rencontrés étaient donc des jurés, des garçons de quinze ou seize ans en lycée professionnel, ce qui avait bousculé son schéma de représentation.
Elle est bien évidemment ravie de ce prix, d’autant qu’il vient couronner 20 ans de relation de fidélité, de ténacité, de confiance avec sa maison d’éditions, Buchet-Chastel, avec son éditrice, mais aussi avec des libraires, des lecteurs, des bibliothécaires qui l’ont soutenue dès ses débuts. « Histoire du Fils » va également bénéficier de beaucoup plus de visibilité, à l’image du bandeau « d’été vert et bleu » de la couverture, une peinture de Jacques Truphémus, que l’on a pu admirer sur tous les panneaux d’affichage.
Mais ce Prix ne va certainement rien changer à son écriture. En effet, elle ne vit pas de ses droits d’auteur, mais bien de son salaire de professeur de lettres en collège. Le fait que son livre se vende ou pas ne la préoccupe donc pas. Interrogée sur sa profession, elle explique qu’elle est devenue professeur « par raison » et pas par vocation et qu’à ses débuts elle n’aimait d’ailleurs pas son métier – elle a finalement appris à lui trouver du sens en le faisant, et juge désormais qu’elle exerce un « métier noble », qui lui permet de faire accéder les adolescents à la langue et à la littérature. Il y a finalement une capillarité profonde entre ses deux occupations : un même matériau, et cette habitude de lire à voix haute – ses textes, quand elle les travaille, et les textes des autres au collège. Elle a toujours réussi à trouver du temps pour pouvoir écrire, mais c’est du temps « arraché », « conquis de haute lutte. »
Cependant, pendant une période où elle n’exerçait pas, elle avait lancé deux « chantiers » !
Eh oui, elle appelle ses projets d’écriture des « chantiers », qu’elle travaille « à l’établi ». Un vocabulaire comme un écho à ses origines – ses parents et son frère étaient paysans – et au travail physique de la langue, bien éloigné de cette théorie littéraire qui la révulse.
Marie-Hélène Lafon est née dans le Cantal, mais a toujours su qu’elle devrait partir de sa région et de son milieu, comme une sorte d’exode rural, pour gagner sa vie et devenir fonctionnaire – dit-elle en citant Jean Ferrat. Lorsque comme elle, on était une fille et qu’«on apprenait bien », on devenait institutrice : elle a quitté sa région à 18 ans pour ses études, et est devenue professeur. Bien qu’elle habite désormais depuis 40 ans à Paris, elle écrit toujours sur sa terre natale, qui s’impose organiquement, comme une fidélité à ses origines, ou une dette, voire même une culpabilité judéo- chrétienne, pour elle qui se qualifie de « transfuge social ». Et pourtant, elle affirme n’éprouver aucune nostalgie, au contraire, souvent, de ses lecteurs qui, « comme dans une auberge espagnole où chacun apporte à manger », apportent leur propre nostalgie et en comblent les silences de ces textes. Mais elle souhaite également exprimer sa joie immense, sa reconnaissance immense d’avoir grandi dans un « Pays Premier », sur une terre d’une beauté déchirante, avec un « Paysage Majuscule ».
« Histoire du Fils » s’inspire d’une histoire vraie, qui a touché une famille amie de Marie-Hélène Lafon. En Août 2012, un homme de 88 ans est arrivé en leur déclarant : « je suis le fils de X » (nommé Paul dans le livre, et mort officiellement sans descendance), ce qui était évident vu leur ressemblance. Les amis de Marie-Hélène Lafon lui ont demandé de venir, et elle a beaucoup discuté avec ce monsieur, mais cette histoire vraie, comme souvent avec le réel, était trop romanesque, pittoresque, rocambolesque… elle l’a donc laissée décanter pendant plusieurs années, puis l’a retravaillée, et a fait également en sorte, en changeant les noms, les lieux, les corps, que l’on ne puisse pas reconnaître les personnes qui ont inspiré le livre. De celui qui a inspiré André, le Fils, elle a gardé ce goût du bonheur qu’elle a senti en lui. Et pour créer Paul, le père, elle s’est rappelé d’un homme très beau mais très hautain qu’elle avait rencontré dans son enfance, et dont encore maintenant, avec une sorte de « hargne sociale », elle se rappelle le mépris de classe.
Interrogée sur son style, Marie-Hélène Lafon explique qu’elle écrit « à l’os », qu’elle a horreur des explications, qu’on dise au lecteur ce qu’il doit ressentir : elle fait confiance à ses lecteurs, met beaucoup de silences, de pistes non suivies dans ses romans. Elle travaille à l’instinct, au doute, à la lecture à voix haute. Ses textes sont comme des coulées verbales : elle utilise peu les paragraphes, et fait un usage peu orthodoxe de la ponctuation. Elle écrit les livres qu’elle peut, à force de travail et de ténacité mais ne sait pas quand elle ouvre « un chantier » si cela va donner une nouvelle (elle les aime longues) ou un roman (elle les aime courts). Mais finalement, peu importe les catégories, elle produit une « coulée textuelle » !
Un VLEEL passionnant avec une autrice sincère et authentique, à (re) voir en replay !
A LIRE : deux chroniques, ici et ici.
